Le modernisme de La Villa Cavrois

Voici comment est décrit la Villa Cavrois en 1931

La maison que Mallet-Stevens est en train de construire, à Roubaix (NDLR : En fait à Croix ... mais le Nord est loin pour les parisiens !), est une maison comprise pour une famille de neuf personnes, sans compter les domestiques, et vous allez voir qu'elle est destinée à fournir non seulement le maximum de confort aux habitants, mais encore le maximum de facilités à tous ceux qui sont appelés à y vivre et à y travailler.



Mallet-Stevens a profité d'une exposition au midi, sur une petite hauteur de terrain, avec une vue agréable sur les plaines de Flandre, et, naturellement, l'architecte a disposé partout de grandes baies à guillotine, qui donnent le maximum d'air et de lumière, au lieu de la fenêtre classique, qui prend de la place et qui s'ouvre dans la pièce. Les portes sont à coulisse. 

Chaque étage a de grandes terrasses tout à fait praticables. A l'étage supérieur, une grande terrasse recouvre toute la maison. On peut y prendre ses repas en été, on peut y prendre le thé à la belle saison, et un monte-plats électrique a été prévu à cette intention. 



Et, comme nous sommes dans une région où les habitants aiment bien les sports, Mallet-Stevens a préparé une grande piscine contre la maison et sous celle-ci, grande piscine avec les vingt-cinq mètres réglementaires, où toutes les compétitions sportives pourront être disputées.



Toute cette maison est chauffée, éclairée, desservie suivant les procédés les plus modernes : chauffage au mazout, avec une chaufferie centrale carrelée en blanc.



L'électricité est partout : glacière électrique, ascenseur électrique depuis la cave jusqu'au sommet et petite salle électrique jouant le rôle de « centrale électrique », avec tous les coupe-circuit de la maison réunis sur le même tableau.



Dans chaque pièce, on a prévu le téléphone, soit avec l'intérieur, soit avec le réseau ; 



dans chaque pièce aussi, apparaît une innovation — que, peut-être, vous n'apprécierez pas tous — un appareil de T. S. F. avec possibilité de pouvoir entendre la radiophonie de son lit, avec réglage et coupure à la tête de celui-ci.




Ajoutez encore, dans chaque pièce, une pendule électrique, et, comme il faut éviter les gestes inutiles, le réglage de toutes ces pendules est fait automatiquement par T. S. F.




Je ne vous décrirai pas la cuisine, l'arrière-cuisine, la buanderie ; après ce que Mallet-Stevens vous a dit tout à l'heure, vous devinez ses idées à cet égard.



Chaque chambre a sa salle de bains, avec l'eau chaude, l'eau froide et l'eau adoucie, c'est-à-dire filtrée et débarrassée de toutes les substances calcaires qu'elle peut contenir. Chaque pièce également dispose d'une prise de courant spéciale pour le nettoyage par le vide.



Certaines innovations, curieuses, valent de vous être signalées. Par exemple, la question des clefs. Petite chose, direz-vous, mais elle a son importance quotidienne. Chaque chambre s'ouvre à l'aide d'une clef spéciale ; mais les maîtres de la maison ont à leur disposition un passe-partout d'une forme particulière qui permet d'ouvrir n'importe quelle porte, à n'importe quel étage et dans n'importe quelles conditions.



Document de 1932 d'une serrure à combinaison
C'est la société Bricard qui installa les serrures à la Villa Cavrois



De plus, la porte d'entrée de la propriété est une porte à coulisse, comme celle des passages à niveau. Lorsque le maître de maison revient chez lui, le soir, il lui suffit de donner un coup de klaxon en arrivant devant sa porte ; si le concierge est couché, il n'a pas besoin de se lever pour aller ouvrir la porte d'entrée : de son lit, il appuie sur un bouton électrique et la porte à coulisse s'ouvre.




Ensuite, autre raffinement : l'auto, en arrivant devant le garage souterrain, pèse de son poids sur des plots, ce qui fait ouvrir la porte du garage. Il est donc inutile de déranger les domestiques ; personne n'a besoin d'attendre ; tout fonctionne électriquement. 

Et, quand l'auto est rentré au garage, le propriétaire trouve à sa disposition un petit ascenseur électrique qui le mène jusqu'à son appartement.



Dans cette maison, tout ce qui concerne les domestiques a été prévu exactement comme pour les maîtres. Les chambres sont conçues de la même manière ; les fenêtres sont les mêmes ; il y a le même chauffage, les mêmes salles de bains, les mêmes lavabos.



Pour les enfants, on a prévu une salle de jeux d'un aspect particulier. Chacun sait combien, même dans les appartements les plus vastes, il est difficile d'organiser une réunion d'enfants. Pour n'avoir pas à démeubler une pièce, Mallet-Stevens a donc imaginé pour les enfants cette salle de jeux, qui peut se transformer indifféremment en salle de spectacle, en salle de conférences et en salle de cinéma, de telle sorte que tout le monde, dans la maison, se trouve avoir satisfaction.


Tout au sommet de l'immeuble, Mallet-Stevens a disposé une tourelle circulaire, avec une table d'orientation, et l'on peut ainsi communiquer, au besoin, par signaux optiques, avec les amis qui sont dans les propriétés voisines. On peut se distraire encore, grâce à la table d'orientation, en suivant le vol des grands avions qui s'en vont vers l'Angleterre ou vers la Hollande.



Dans le parc, enfin, pour montrer qu'il ne sacrifie nullement l'agréable à l'utile, Mallet-Stevens a prévu un potager, une roseraie, un grand miroir d'eau de soixante-treize mètres de long, d'immenses parterres de fleurs à couper et de belles places de jeux pour les enfants.




En somme, une maison comme celle-ci doit d'abord donner du confort ; elle doit aussi créer quotidiennement de   la   beauté,  et   elle   est conçue également pour que tout le monde soit déchargé de ces besognes fastidieuses et stériles.

Ces propos de Georges Huisman, un ami de Robert Mallet-Stevens, ont été tenus lors d'une conférence prononcée avec lui à Paris le 20 février 1931, et reproduit dans un numéro 22 de Conférancia.