Histoires croisées


Cet article est paru dans la Voix du Nord du dimanche 21 décembre 2014 sous la plume de Sophie Leroy.




Cette visite n’aurait jamais dû avoir lieu, en sa présence. Richard Klein, fraîchement diplômé de l’École d’architecture de Lille, travaille alors au Conseil d’architecture et d’urbanisme du Nord. Quand un photographe du ministère de l’Équipement demande à visiter la villa Cavrois, à Croix. Celle-ci n’est pas encore reconnue comme l’une des plus emblématiques de l’architecture du XXe.



En 1986, la villa Cavrois et son architecte sont à la croisée de leurs histoires. La veuve de Paul Cavrois vient de décéder. Mallet-Stevens, en son temps aussi renommé que Le Corbusier, sort à peine du silence, longtemps oublié : « Les années 30 ne sont pas à la mode. » Tout juste une exposition vient-elle de lui être consacrée.

Le jour J, contre toute attente, Richard Klein est chargé d’assurer la visite. Et découvre les lieux dont il n’a qu’entendu parler : « Impressionné », au premier étage, par l’alignement entre la chambre parentale, le boudoir et la salle de bain, conservé dans son jus depuis 1932. « Dans le boudoir, les meubles sont en sycomore, avec une partie en métal poli, ce n’était pas ordinaire. »

Surtout, Richard Klein perçoit que la villa Cavrois vit là « un moment charnière, que son histoire bascule » : « Le jour même de notre visite, le fils du propriétaire rencontrait des antiquaires pour évaluer le mobilier de la maison. » La vente est annoncée.
« C’était étonnant d’entendre les commentaires détachés du propriétaire. Je me souviens d’une sculpture abstraite qui attirait particulièrement l’œil des antiquaires. Son propriétaire ne la voyait pas. J’ai compris alors qu’il fallait s’intéresser à cette villa, la faire connaître. »

Dans le quartier, les voisins la surnomment « le paquebot », voire « le péril jaune », loin d’en mesurer l’importance architecturale. « Après cette visite, j’ai écrit à Jack Lang, alors ministre de la Culture. » Richard Klein n’est pas le seul. Une première mesure d’instance de classement est déposée. Sans empêcher l’abandon, le vandalisme de la maison.

Richard Klein « gratte » l’histoire de cette villa et de Mallet-Stevens. « Je voulais comprendre comment on en était arrivé-là, ce silence. C’était une situation exceptionnelle sur le plan architectural et patrimonial. » Plusieurs œuvres majeures de Mallet-Stevens ont disparu. Cette villa Cavrois, « c’est un manifeste de l’artiste moderne », dont Mallet Stevens a contribué à fonder le mouvement. « On retrouve les hauteurs sous plafond, les pièces sonorisées, avec des éclairages différents dans chaque pièce pour maîtriser les ambiances. »

Pour la réouverture de la villa, en juin 2015, les murs seront redevenus polychromes et les pièces auront retrouvé quelques pièces du mobilier d’origine.


Quant à Richard Klein, il gratte encore : « Dans un texte, est citée une maison de Mallet-Stevens au Brésil. On ne l’a jamais retrouvée. » Mallet-Stevens a demandé à sa femme de brûler ses archives à sa mort.