Splendeur raffinée



Correspondance de Stéphane Dubromel

C’est une merveille d’architecture moderniste et elle ouvre ses portes au public le 13 juin. La Villa Cavrois, à Croix, dans le Nord, est une réussite de construction et un sauvetage exemplaire. Visite.



C’est un rituel auquel il faudra se plier pour visiter la villa. Le petit distributeur de chaussons jetables trône discrètement dans le hall d’entrée, en attente des souliers des visiteurs. L’architecte de la villa Robert Mallet-Stevens n’y avait peut-être pas pensé, en 1932, lorsqu’il a remis les clés à son propriétaire, Paul Cavrois, un riche industriel textile de Roubaix.

Tout commence dans les quartiers boisés de Croix, la banlieue cossue de Roubaix, près de Lille. Paul Cavrois commande une villa à Robert Mallet-Stevens, dont il découvre les travaux lors d’une exposition à Paris en 1925. L’architecte d’origine belge est déjà une personnalité établie du monde de l’architecture après avoir réalisé la villa Noailles à Hyères (Var), les immeubles de la rue Mallet-Stevens dans le 16e arrondissement de Paris, mais également des décors de films pour Marcel L’Herbier. Paul Cavrois donne carte blanche à l’architecte qui réalisera une de ses pièces les plus remarquables.



Gigantisme et raffinement

Et pour cause. 60 mètres de longueur pour sa façade principale, 3 800 mètres carrés de planchers, 17 600 mètres carrés de parc, ouverts à la visite, 200 kilomètres de joints peints. Des briques jaunes pour l’extérieur, tranchant avec les rouges traditionnelles du Nord-Pas-de-Calais, la TSF et une horloge dans toutes les pièces, aucune conduite d’eau ou d’électricité apparente, la diffusion de la lumière elle aussi cachée, pour une ambiance très cinéma. La villa baigne dans un style sobre et raffiné, mais dans un gigantisme impressionnant. Qui ne fut pas du goût de tous.

Car le bâtiment à une histoire complexe. Si la famille Cavrois en a eu les clés en 1932, les Allemands y ont établi leurs quartiers dès 1939, lors de la Seconde Guerre Mondiale. Le miroir d’eau de 72 mètres de long du parc fut bouché.



Acquise par l’État en 2001

Paul Cavrois récupère la villa en 1947, meurt en 1965. Son épouse reste jusqu’en 1985, date de son décès. La villa est ensuite mise aux enchères à Monaco et acquise par un promoteur immobilier qui prévoyait de la détruire pour bâtir des logements sur l’immense terrain. Impensable pour les riverains qui, malgré leur détestation de cette villa tape-à-l’œil, se battent et obtiennent son classement en monument historique en 1990.

Dépecée, son mobilier dispersé un peu partout, dans un piteux état, elle sera acquise par l’État en 2001, qui lancera un gigantesque chantier de restauration. Son coût ? 23 millions d’euros. Depuis, la Villa Cavrois est classée parmi les 100 plus belles maisons du monde. Rien que ça.