Restauration de la Villa Cavrois (vidéo du CMN)


Un film d'Aymeric François




M.G. : " On a la pureté du mouvement moderne, très épuré et puis en même temps une richesse de matériau et des compositions qui restent encore très classiques, c'est pour cela qu'on évoque le château dans l'ancien cadastre de la Villa Cavrois "


M.G. : " De part sa taille, çà fait déjà 2 500 m2 habitables, autant de terrasses, donc un total de 5 à 6 000 m2 selon le type de terrasses que l'on prend en compte. "



M.G. : " Pas seulement par la taille, mais par la composition. On rentre par le vestibule, on traverse un vestibule sur jardin qui est le salon, il y a un escalier d'honneur, un escalier de service, l'ailes des parents, l'aile des domestiques et des enfants, comme au XVIIIe siècle. "


M.G. : " Donc, par certains aspects, çà reste très classique, parceque les arts décoratifs ce n'est que l'ultime version du classicisme, et puis déjà une introduction moderniste, mais sans que çà paraisse comme une greffe maladroite. C'est totalement intégré, et c'est çà qui fait justement tout l'intérêt de la Villa Cavrois. Et entr'autre particulièrement l'aspect architecture totale. "


" Mallet-Stevens pousse ce concept au paroxysme en créant l'architecture, le décor, le parc et l'ensemble des équipements modernes. Baies vitrées, ventilation, téléphone, sonorisation, chauffage central, ascenseur. "


" La famille Cavrois vit dans cet environnement d'exception jusqu'en 1986, date à laquelle le mobilier est dispersé et la villa vendue à une société immobilière qui commence à lotir le parc. "

" Laissée à l'abandon elle est vandalisée et pilée "




M.G. : " Des récupérateurs de matériau ont enlevé des descentes d'eau. Ce qui fait que l'eau va s'écouler librement. Et donc l'intérieur était pulvérisé. Moi, j'ai connu l'escalier d'honneur, au palier du premier étage, il y avait un arbre à l'intérieur. Un arbre dont le tronc faisait 10 cm de diamètre, c'était pas un arbuste, c'était apocalyptique. "



" Les premières voix d'une association de riverains et d'architectes s'élèvent alors pour classer ce patrimoine "



" Classée au titre des monuments historiques en 1990, la villa est rachetée par l'Etat en 2001. La Direction Régionales de Affaires Culturelles Nord Pas de Calais (DRAC) au nom du ministère de la Culture sauvent définitivement la villa en entreprenant les travaux de restauration du clos et du couvert en 2004. "




M.G. : " Et la première chose qu'on ait faite avec l'architecte des bâtiments de France quand j'ai été nommé en 2000, c'est de mettre de la tôle par dessus tout çà. Il doit y avoir des photos un peu étranges où l'on voit la Villa Cavrois avec une boîte en tôles par dessus et qui permis d'assainir tout de suite la situation et puis on a pu déblayer l'intérieur avec beaucoup de soins, pour récupérer les traces ténues du décor ancien, et à partir de là on a pu engager les premiers travaux de réfection du clos et du couvert qui se sont déroulés en trois années. "






M.G. : " Le parti de restauration, tant pour les intérieurs que les extérieurs, a été de s'accrocher au moindre débris authentique pour que l'on ait l'impression que l'on est dans une maison des années 30 et qu'on n'est pas dans une maquette d'une maison des années 30, et qu'on n'entre pas dans un musée ou un équipement culturel. "


" En 2008, la villa est confiée en gestion au centre des monuments nationaux qui engage une restauration des intérieurs en deux phases successives et la restauration du parc. "





B. G. : " Les travaux de la phase une, concerne le corps central de la Villa Cavrois, qui est la partie vraiment essentielle de cette construction, puisqu'elle accueille les espaces de réception. Le vestibule d'entrée qui s'ouvre sur le grand hall salon, à côté la salle à manger, l'escalier d'honneur qui monte jusqu'au deuxième étage. Tous ces espaces donnent sur le parc, qui s'ouvre au sud avec son miroir d'eau dans l'axe. "



" La rénovation du parc de 5 hectares et de son miroir d'eau, tous deux conçus par Mallet-Stevens, et essentiels à la compréhension de la villa, débute en janvier 2012. "


A. L. C. : " Il subsiste des éléments absolument extraordinaire comme témoignage historique. On a un plan dessiné probablement par Mallet-Stevens, signé par lui. Et on a aussi de nombreuses photographies aériennes obliques qui datent de juste après la réalisation du jardin. On peut reconnaître les essences des végétaux. C'est des photos qui sont d'une utilité vraiment incroyable. Donc çà nous sert en permanence à calculer la hauteur des bordures, la largeur des allées. Qu'est-ce qui pouvait être planté. C'est rare d'avoir des choses pareilles. "







M. G. : " Pendant l'occupation, des allemands ont occupés la villa, avec des conséquences, puisque le grand miroir d'eau servait de signal à l'aviation. Donc, il a été complètement remblayé. Mais comme l'eau y stagnait on a fait carrément des grandes tranchées à travers du béton au fond pour que l'eau s'évacue. C'est dans cet état là qu'on a retrouvé ce bassin."



A. L. C. : " Pour le miroir d'eau, on a dégagé le miroir tel qu'il était parfaitement et on l'a réparé au lieu de le refaire en entier. On est vraiment dans quelque chose de très scrupuleux. Par contre, on n'est pas tout à fait comme à l'origine puisque le jardin s'est beaucoup rétréci. Autrefois il y avait un grand verger, un potager, une roseraie. Et tout çà a disparu. "





A. L. C. : " C'était soit la villa qui était conservé avec un lotissement, soit plus de villa. On a d'abord hésité, est-ce qu'on ferait un écran de protection pour cacher ces villas ? Et finalement, on s'est dit que non. On laisse la clôture qui existe, une haie pas trop haute, et on verra quand même les petites maisons pour monter que le parc était plus grand que ce qu'il n'est aujourd'hui. "



L. D. : " On a commencé le chantier, ici au début c'était une prairie, il n'y avait absolument rien, les chemins n'étaient plus distincts, on ne les voyait plus. La première chose à faire était ce qu'on appelle les sondages. Avec une mini-pelle on a creusé à l'endroit approximatif des chemins, on a pu trouver les fondations des chemins, on a même pu retrouver le caillou de finition du chemin. "






L. D. : " Quand on a retrouvé les chemins, forcément on avait une altimétrie. Donc on avait le jardin qui se profilait. On a refait une implantation précise. On a terrassé pour faire les chemins. On a conservé la fondation d'origine sur les 10 cm, on a remis une fondation par au-dessus. On a fait toute la borduration. C'est la borduration métal. Ensuite c'était la mise en place d'une dalle dans laquelle on mets les cailloux. Et après c'est tout le profilé de terrain, donc la mise en place de terres de chaque côté et l'engazonnement. "




B. G. : " Quand je voyais le plan, avant les travaux de restauration, j'arrivais pas bien à comprendre cette logique de dessins. Je me disais c'est un peu, c'est très tendu, c'est géométrique, c'est froid. Vers la fin des travaux, en parcourant ces allées, tout d'un coup c'était évident. La villa elle retrouvait son assisse. Comme les allées sont très étroites, çà multipliait la perspective. Le miroir d'eau semble plus loin, c'est une mise en scène, en tout cas pour moi, qui me semblait évidente, quand tout se révélait à la fin des travaux. "


A. L. C. : " Ce jardin nous permet d'avoir le recul, d'avoir l'appréhension de cette grande perspective qui est fondamentale, avec des jeux de niveau très subtil, comme un amphithéâtre. Et on retrouve ce caractère là surtout sur la façade sud. Et au nord on va retrouver aussi l'allée qui est ronde, qui tourne pour les voitures et dessert la villa depuis le nord, et qui est aussi intéressante et qui la mets aussi en scène. "



" Mené de front avec les sondages du parc, l'étude préalable sur les intérieurs permet de dresser un état des lieux et d'évaluer la faisabilité de restitution du décor. "

M. G. : " D'abord confronter les restes avec les photos de la publication que Mallet-Stevens avait fait de sa propre œuvre, Une maison 1934, qui sont évidemment des documents extrêmement précieux. "

" Le moindre indice "


B. G. : " Schématiquement pour chacune des pièces il y a la photo d'origine avec un certain point de vue, la photo telle que l'on a retrouvé la Villa Cavrois avec le même point de vue. Donc c'est très parlant de voir à quel point le décor avait été arraché, certes mais avec plein de petits indices qui nous donnait les hauteurs, les dimensions, les matériaux. "
" Pour le vestibule, la boîte à lumières qui est encore en place, le cadre du miroir, quelques marbres. "



M. G. : " Et puis aussi les textes, puisque dans ses publications Mallet-Stevens décrit ce qu'il a fait. "


B. G . : " C'est vraiment un travail d'archéologue, çà se rapproche vraiment de çà puisque çà allait vraiment jusqu'au tout petit élément, le moindre indice pour dimensionner chaque partie du décor. "



M. G. : " C'est une réalisation unique. Au fond, redonnez vie à un édifice quand vous avez 85 % du décor qui a disparu et faire en sorte qu'à la fin quand vous rentrez dedans, vous avez l'impression de rentrer dans une maison, dans la maison, çà suppose des études d'architecte, mais çà suppose aussi un investissement en recherches, en échantillons, en maîtrise des techniques qui est très grand. Pour les parquets, c'est un procédé qui était très courant entre les deux guerres, on appelait cela du mortier magnésien, c'est des petites lames de bois. Il y a du teck, il y a du chêne, selon les pièces il y a des bois différents, mais beaucoup de chêne. Et qui étaient comblés avec un mortier suffisamment souple pour qu'il compense les retraits du bois, et c'est quelque chose qui était très à la mode à l'époque, qui avait un très bel effet et qui n'était pas quelque chose de particulièrement sophistiqué, ni cher pour l'époque. "

" La rénovation du parquet "




B. G. : " Dans le hall-salon, la seule dégradation c'était au niveau de la baie vitrée, il y avait des infiltrations d'eau. Le parquet était irrécupérable. Et puis au niveau des gaines électriques qui passaient dans la chape pendant les années d'abandon de la villa, l'eau s'est infiltrée, a fait gonfler les gaines électriques, donc sous l'effet du gonflement le parquet s'est soulevé. "




P. V. : " On démonte pour récupérer, on élimine ces tuyaux, on rebouche, et ensuite on rempièce, on recolle avec le parquet remis à l'identique. "



B. G. : " Ce qui est difficile, c'est d'apporter un parquet neuf et d'arriver à l'harmoniser, le raccorder au parquet ancien. Le parti çà été simplement d'utiliser les lames des pièces qui sont le plus abîmées pour les sceller dans les pièces où le parquet est en meilleur état, et inversement le parquet le plus abîmé restauré à neuf dans toute une pièce."





P. V. : " Toute la difficulté du parquet Noël, on n'a pas de machines qui nous permet de rénover ce parquet, çà veut dire que chaque lamelle est par exemple entièrement grattée à la main, les petites rainures évidées à la main avec un ciseau à bois. C'est un travail considérable d'artisanat. "


P. V. : " Ensuite avec du papier kraft nous reformons les damiers. L'étape qu'ils sont occupés de faire maintenant c'est de recoller au ciment magnésien les différents damiers, où latte par latte. On va couler le ciment magnésien sur l'ensemble de la pièce et ensuite on pourra partir pour un ponçage complet et on peut faire la mise en huile, qui est l'étape finale. "

" L'éclairage d'André Salomon "







M. G. : " Un autre élément d'éclairage intéressant qui sont les boîtes à lumière entre le grand salon et le vestibule, çà c'est à rattacher à la carrière de Mallet-Stevens  qui dans ses débuts a beaucoup participé à l'élaboration de décors de cinéma. Il a repris une technique d'éclairage de cinéma avec une boîte à lumière et un verre diffusant. "



M. G. : " Les éléments métalliques horizontaux étaient complètement défaits. On les a tous retrouvé intégralement. On les a remis en place. La boîte à lumière que vous voyez aujourd'hui, c'est celle d'origine. "




" La réfection des marbres " 

" Les marbres, revêtements omniprésents dans les salles de réception de la villa sont de nature différente pour chaque pièce. Leur état ne permet pas toujours une restauration, mais au moins une identification précise des besoins à recréer. "


B. G. : " Marbre vert de Suède pour la salle à manger, marbre jaune de Sienne pour le coin feu dans le salon, marbre blanc pour le vestibule et l'escalier d'honneur. Et çà a été encore plus compliqué pour le coin feu et la salle à manger, dans la mesure où  il y avait un motif. "


M. G. : " Dans le salon, les marbres il en restait quelques plaques, quelques éléments, et suffisamment pour avoir quand même la texture, la couleur de ce marbre. C'est par des photos des années 30, en noir et blanc, qui donnait donc le calepin, la division, les dispositions géométriques. C'est un marbre de Suède, que l'on a retrouvé. Par bonheur, la carrière existe encore, c'est un marbre gris-vert avec des veines grises. Et ces veines grises, ils avaient essayés de les mettre systématiquement le plus horizontal possible. Finalement on a compris çà au bout d'un certain temps, on n'a pas compris tout de suite. Et puis on a reproduit ce même schéma avec les matériaux disponibles aujourd'hui. "




B. G. : " C'était cela la difficulté, on avait des blocs. Et il fallait le choisir en essayant d'imaginer au moment de la découpe, le dessin que çà pouvait nous offrir. "





B. A. : " Les quelques images que l'on a de l'original sont dans le lit, donc on scie le bloc de préférence dans le lit pour trouver la chose la plus approchante des quelques dessins que l'on a des marbres originaux. "



B. G. : " Avec cet ensemble de dalles, comment on allait procéder ?  Finalement on a adopté comme un dessin, c'est comme de la peinture. On a photographié chaque dalle, puis après cela a été un agencement de chaque petite photo pour essayer de retrouver l'esprit ou le mouvement du dessin visible sur les photos. "


J. Q. : " A l'époque les marbres étaient posés de la même façon que maintenant. (.../...) On tombait presque dans les mêmes trous qu'ils avaient faits. "


































" 15 ans de travail et 23 millions d'euros pour retrouver l'œuvre initiale de Mallet-Stevens "