La bataille de la Villa Cavrois


La bataille de la Villa Cavrois

Article publié le 28 mars 2002 par Michèle Leloup dans l’Express Actualité Culture  Arts

La Villa Cavrois est sauvée. Après quinze ans de conflits juridiques, l'œuvre de Robert Mallet-Stevens vient d'être rachetée par le ministère de la Culture : 1,15 millions d'euros. En 1986, le propriétaire en titre, Kennedy-Roussel, société immobilière dirigée par Jean-Pierre Willot, l'avait acquise pour deux fois moins cher, dans l'intention de la diviser en appartements et d'y construire, sur quatre hectares, une résidence haut de gamme. D'où le bras de fer avec l'Etat, opposé à ce projet, l'édifice étant classé.

Aujourd'hui, le promoteur est satisfait de cette transaction: « Au regard du manque à gagner et des fonds immobilisés à perte, c'est une opération blanche », justifie Jean-Pierre Willot, héritier de l'empire Boussac et fils de l'un des frères Willot, les fameux « Dalton » des années 70. Sauf que la bâtisse est maintenant en ruine et qu'il faudra rajouter 7,6 millions d'euros pour la restaurer. « Ce compromis a permis à tout le monde de sortir la tête haute », argumente Richard Martineau, directeur régional des Affaires culturelles, médiateur de ce dossier empoisonné.



Les nombreux défenseurs de la Villa Cavrois, parmi lesquels Norman Foster et Renzo Piano, peuvent se réjouir de cette issue, tant attendue par l'association de sauvegarde du site, animée depuis 1986 par Richard Klein. « Je salue l'acte symbolique, mais quel gâchis ! » lance cet architecte, grâce à qui l'ouvrage Une demeure 1934, de Mallet-Stevens, a été publié chez l'éditeur Jean- Michel Place.

Ce fac-similé du livre, édité, en 1934, par L'Architecture d'aujourd'hui, rend hommage à la Villa Cavrois, témoin de l'avant-garde des années 30. Ascenseur, piscine, confort électrique, téléphone intérieur, boiseries en palmier, en sycomore, et sols en marbre, le mécène Paul Cavrois, riche industriel du textile, n'avait pas lésiné en s'offrant ce « paquebot de luxe » arrimé à Croix, faubourg huppé de Lille.

Chantier de restauration

Soixante-dix ans plus tard, un hasard du calendrier vient d'accélérer son sauvetage. En effet, la métropole lilloise sera promue, en 2004, capitale européenne de la culture. L'occasion rêvée de révéler ce chef-d'œuvre en péril, d'abord inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, en 1987, puis classé d'office en 1990, sur saisine du Conseil d'Etat. « Le propriétaire refusant de faire des travaux, nous avons usé de tout l'arsenal administratif pour protéger ce site menacé », rappelle François Goven, sous-directeur des Monuments historiques.

Le conflit aurait pu s'aplanir en 1991, lorsque la communauté urbaine régionale de Lille tente de la racheter, mais son président, Pierre Mauroy, bute sur le prix, fixé à 1,2 millions d'euros. Deux ans plus tard, le conseil général se dédit et, au fil du temps, la villa est pillée, puis saccagée. Un massacre évalué à 460 000 euros par un architecte des Bâtiments de France, facture que l'Etat offre alors de partager avec Jean-Pierre Willot, qui décline la proposition. L'affaire se gâte.

En 1997, la société Kennedy-Roussel est mise en demeure d'effectuer les travaux d'urgence par la commission des Monuments historiques, et c'est le procès. Le ministère de la Culture, débouté, fait appel. En vain. Il ne reste plus qu'à négocier. Après deux ans de palabres, Willot a fini par garder le verger de la villa qui, découpé en parcelles, recevra cinq maisons de grand standing. A condition que les plans, soumis à un architecte des Bâtiments de France, respectent la cohérence du lieu, ce terrain se trouvant dans un rayon de 500 mètres autour d'un édifice classé. Un joli casse-tête en perspective.

Quant à la vocation de la Villa Cavrois - musée ou centre de réflexion sur l'architecture - rien n'est encore décidé, le chantier de restauration devant durer, au moins, cinq ans. En revanche, il est question d'aménager le rez-de-chaussée pour y accueillir une exposition, en 2004, si les premiers travaux sont bouclés.